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Bonjour tout le monde.
Je viens de lire un article assez intéressant sur une newletter du CNRS à laquelle je suis abonné (INSU). Je vous en fait profiter :
Prévoir la rigueur de l'hiver en Europe sur la base de l'enneigement automnal en Sibérie ?
Les chercheurs du Centre national de recherches météorologiques (CNRM-GAME, Météo-France / CNRS) viennent de montrer que le lien entre enneigement automnal en Sibérie et rigueur de l’hiver en Europe, sur lequel s’appuient des méthodes statistiques de prévision saisonnière, n’était pas aussi robuste que de précédentes études auraient pu le laisser penser. Cette conclusion illustre la prudence qu’il convient de garder vis-à-vis des techniques empiriques de prévision saisonnière. Les résultats de ces travaux ont été publiés sur le site de Geophysical Research Letters, le 16 janvier 2013.
Si elles donnent des résultats utiles sous les tropiques, les prévisions saisonnières restent peu fiables à nos latitudes et sont l’objet d’intenses recherches dans la communauté climatique. La plupart des centres météorologiques qui produisent ce type de prévisions utilisent des systèmes numériques simulant de manière explicite la dynamique des océans et de l’atmosphère. Certains scientifiques emploient cependant des méthodes purement statistiques, beaucoup plus simples et moins coûteuses à mettre en œuvre, et parfois présentées comme aussi performantes. Il ne s’agit plus de simuler l’évolution de l’atmosphère, mais d’utiliser des corrélations identifiées sur des séries de données aussi longues que possible entre un phénomène climatique et les conditions moyennes en température ou en précipitations quelques mois plus tard. D’aucuns avancent, par exemple, prévoir la rigueur de l’hiver en Europe sur la seule base de l’enneigement automnal en Sibérie.
Depuis les années 1990, plusieurs études portant sur des observations spatiales de l'enneigement et sur des reconstructions de la circulation atmosphérique (ré-analyses) ont en effet mis en évidence le lien entre l’étendue de neige en Sibérie à l’automne et la phase négative de l’oscillation arctique (AO)(1) qui s'accompagne le plus souvent de vagues de froid et de neige sur le nord de l'Europe et de l'Amérique. Cependant, les observations spatiales n’étant disponibles que depuis le début des années 1970, la question de la robustesse et du caractère systématique de ce lien statistique entre neige et phase de l’AO (y compris avant 1970), et donc de la fiabilité des prévisions saisonnières ainsi produites, demeurait ouverte.
Les chercheurs du CNRM-GAME ont revisité ce lien sur la période 1891-2010 grâce à une nouvelle reconstruction de la circulation atmosphérique, la ré-analyse du XXe siècle(2) produite par la NOAA(3), en calculant des corrélations glissantes sur une fenêtre temporelle de 21 ans. Les résultats montrent que les corrélations ne deviennent significatives qu'à partir des années 1970, soit sur une période trop éphémère pour assurer à long terme la fiabilité des méthodes statistiques s’appuyant sur ce lien.

Corrélations glissantes sur 21 années consécutives entre l'indice SAI (Snow advance index, ici une valeur positive signifie une faible progression de l'enneigement sibérien en octobre) et l'indice AO en hiver (Arctic oscillation, ici une phase positive signifie un renforcement des vents d'ouest et un hiver relativement doux notamment sur le nord de l'Europe). La ré-analyse 20CR (en pointillés) permet de reproduire le lien significatif détecté depuis les années 1980 sur la base d'autres jeux de données (données satellitaires de couverture neigeuse du NSIDC et/ou ré-analyse atmosphérique du CPC) mais montre que ce lien n'est pas robuste sur l'ensemble du XXe siècle.
Pour expliquer l’émergence relativement récente du lien neige/AO, les chercheurs avancent par ailleurs une hypothèse mettant en jeu l'oscillation quasi-biennale (QBO) de la stratosphère équatoriale qui correspond à une alternance entre des vents d'est et d'ouest selon une période moyenne de 28 mois. Durant les dernières décennies, et contrairement à la période antérieure, un enneigement important en Sibérie et une "phase est" de la QBO ont en effet coïncidé, tout deux favorables à une phase négative de l’AO.
Plutôt que le fort enneigement seul, c’est cette coïncidence qui pourrait donc avoir favorisé l'effet de la neige sur l'AO, et expliquer l'émergence récente du lien neige/AO. Cette hypothèse reste cependant à confirmer via des simulations numériques dans lesquelles les deux phases de la QBO seraient tour à tour "imposées", avec à chaque fois une anomalie de neige identique sur la Sibérie.
Note(s):
1.L’oscillation arctique (AO) désigne la variation de la différence de pression atmosphérique entre le Pôle Nord et les moyennes latitudes de l'hémisphère Nord. La phase négative de l’AO correspond à la présence d’un anticyclone fort au pôle et d’une dépression forte vers le tropique nord (et inversement pour la phase positive de l’AO).
2.Cette réanalyse, récemment mise à disposition de la communauté climatique, couvre la période 1871-2010.
3.National oceanic & atmospheric administration, États-Unis
Source(s):
How stationary is the relationship between Siberian snow and Arctic Oscillation over the 20th century ?n Y. Peings, E. Brun, V. Mauvais, H. Douville, Geophysical Research Letters, 16 janvier 2Contact(s):
•Hervé Douville, GAME/CNRM
herve.douville@meteo.fr, 05 61 07 93 03
Les coordonnées ci-dessus peuvent avoir été mises à jour depuis la publication de cet article.
> FIN DE CITATION
Bonjour tout le monde.
Je viens de lire un article assez intéressant sur une newletter du CNRS à laquelle je suis abonné (INSU). Je vous en fait profiter :
Prévoir la rigueur de l'hiver en Europe sur la base de l'enneigement automnal en Sibérie ?
Les chercheurs du Centre national de recherches météorologiques (CNRM-GAME, Météo-France / CNRS) viennent de montrer que le lien entre enneigement automnal en Sibérie et rigueur de l’hiver en Europe, sur lequel s’appuient des méthodes statistiques de prévision saisonnière, n’était pas aussi robuste que de précédentes études auraient pu le laisser penser. Cette conclusion illustre la prudence qu’il convient de garder vis-à-vis des techniques empiriques de prévision saisonnière. Les résultats de ces travaux ont été publiés sur le site de Geophysical Research Letters, le 16 janvier 2013.
Si elles donnent des résultats utiles sous les tropiques, les prévisions saisonnières restent peu fiables à nos latitudes et sont l’objet d’intenses recherches dans la communauté climatique. La plupart des centres météorologiques qui produisent ce type de prévisions utilisent des systèmes numériques simulant de manière explicite la dynamique des océans et de l’atmosphère. Certains scientifiques emploient cependant des méthodes purement statistiques, beaucoup plus simples et moins coûteuses à mettre en œuvre, et parfois présentées comme aussi performantes. Il ne s’agit plus de simuler l’évolution de l’atmosphère, mais d’utiliser des corrélations identifiées sur des séries de données aussi longues que possible entre un phénomène climatique et les conditions moyennes en température ou en précipitations quelques mois plus tard. D’aucuns avancent, par exemple, prévoir la rigueur de l’hiver en Europe sur la seule base de l’enneigement automnal en Sibérie.
Depuis les années 1990, plusieurs études portant sur des observations spatiales de l'enneigement et sur des reconstructions de la circulation atmosphérique (ré-analyses) ont en effet mis en évidence le lien entre l’étendue de neige en Sibérie à l’automne et la phase négative de l’oscillation arctique (AO)(1) qui s'accompagne le plus souvent de vagues de froid et de neige sur le nord de l'Europe et de l'Amérique. Cependant, les observations spatiales n’étant disponibles que depuis le début des années 1970, la question de la robustesse et du caractère systématique de ce lien statistique entre neige et phase de l’AO (y compris avant 1970), et donc de la fiabilité des prévisions saisonnières ainsi produites, demeurait ouverte.
Les chercheurs du CNRM-GAME ont revisité ce lien sur la période 1891-2010 grâce à une nouvelle reconstruction de la circulation atmosphérique, la ré-analyse du XXe siècle(2) produite par la NOAA(3), en calculant des corrélations glissantes sur une fenêtre temporelle de 21 ans. Les résultats montrent que les corrélations ne deviennent significatives qu'à partir des années 1970, soit sur une période trop éphémère pour assurer à long terme la fiabilité des méthodes statistiques s’appuyant sur ce lien.

Corrélations glissantes sur 21 années consécutives entre l'indice SAI (Snow advance index, ici une valeur positive signifie une faible progression de l'enneigement sibérien en octobre) et l'indice AO en hiver (Arctic oscillation, ici une phase positive signifie un renforcement des vents d'ouest et un hiver relativement doux notamment sur le nord de l'Europe). La ré-analyse 20CR (en pointillés) permet de reproduire le lien significatif détecté depuis les années 1980 sur la base d'autres jeux de données (données satellitaires de couverture neigeuse du NSIDC et/ou ré-analyse atmosphérique du CPC) mais montre que ce lien n'est pas robuste sur l'ensemble du XXe siècle.
Pour expliquer l’émergence relativement récente du lien neige/AO, les chercheurs avancent par ailleurs une hypothèse mettant en jeu l'oscillation quasi-biennale (QBO) de la stratosphère équatoriale qui correspond à une alternance entre des vents d'est et d'ouest selon une période moyenne de 28 mois. Durant les dernières décennies, et contrairement à la période antérieure, un enneigement important en Sibérie et une "phase est" de la QBO ont en effet coïncidé, tout deux favorables à une phase négative de l’AO.
Plutôt que le fort enneigement seul, c’est cette coïncidence qui pourrait donc avoir favorisé l'effet de la neige sur l'AO, et expliquer l'émergence récente du lien neige/AO. Cette hypothèse reste cependant à confirmer via des simulations numériques dans lesquelles les deux phases de la QBO seraient tour à tour "imposées", avec à chaque fois une anomalie de neige identique sur la Sibérie.
Note(s):
1.L’oscillation arctique (AO) désigne la variation de la différence de pression atmosphérique entre le Pôle Nord et les moyennes latitudes de l'hémisphère Nord. La phase négative de l’AO correspond à la présence d’un anticyclone fort au pôle et d’une dépression forte vers le tropique nord (et inversement pour la phase positive de l’AO).
2.Cette réanalyse, récemment mise à disposition de la communauté climatique, couvre la période 1871-2010.
3.National oceanic & atmospheric administration, États-Unis
Source(s):
How stationary is the relationship between Siberian snow and Arctic Oscillation over the 20th century ?n Y. Peings, E. Brun, V. Mauvais, H. Douville, Geophysical Research Letters, 16 janvier 2Contact(s):
•Hervé Douville, GAME/CNRM
herve.douville@meteo.fr, 05 61 07 93 03
Les coordonnées ci-dessus peuvent avoir été mises à jour depuis la publication de cet article.
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